Essai pour l'introduction souple et efficace d'une "monnaie" temporelle dans les Systèmes d'Echanges Locaux (S.E.L.)

J'avoue avoir longtemps hésité entre deux visions contradictoires réparties à peu près également sur l'ensemble des SEL existant dans le monde : une vision monétariste des échanges et une vision complètement abolitionniste de toute monnaie.

Les monétaristes créent une monnaie spécifique ("pots", "grains", "brouettées", et même : "heures" et "minutes"), tiennent une comptabilité centrale, publient régulièrement les soldes de tous les adhérents au SEL. Par exemple : qui a reçu, en une période donnée, pour 1000 pots de services et en a rendu pour 2500 se trouve créditeur de 1500 pots ; qui a reçu, dans la même période, pour 3000 pots de services et en a rendu pour 150 se trouve débiteur de 2850 pots ; qui n'a rendu aucun service et en a reçu pour 100 pots se trouve débiteur de ces 100 pots ; qui n'a rendu ni reçu aucun service se trouve avec un solde égal à zéro. Tous les comptes sont transparents les uns aux autres, ce qui est très différent du système bancaire officiel, et, du reste, un solde négatif ou nul ne constitue aucunement un signe infamant. Un solde débiteur de 1000 pots peut signifier que Monsieur A a rendu pour 3000 pots de services (à une ou plusieurs personnes) et qu'il en reçu pour 4000 pots (d'une ou de plusieurs personnes), ce qui est très honorable ; un solde nul peut signifier que Monsieur A a rendu pour 7800 pots de services et qu'il en a reçu pour 7800 aussi, l'ensemble étant aussi fort honorable. Cette comptabilité centrale permet au coordinateur des échanges (sorte de comptable des "pots", "grains" ou autres unités de compte) de repérer un éventuel profiteur, c'est-à-dire une personne qui recevrait toujours sans jamais rendre, encore que le cas ne se présente pratiquement jamais dans des structures de ce type, souvent de petite taille, et où toute action participe peu ou prou d'une forte culture de la solidarité. En outre, elle lui permet d'évaluer statistiquement le volume totale des échanges et de mesurer ainsi le dynamisme du SEL. Pour travailler, le coordinateur se fonde sur des bons d'échanges que les adhérents lui envoient régulièrement, ces bons mentionnant la date, la nature du service rendu, le bénéficiaire du service, l'offreur du service. On terminera sur une précision : les fleurons des SEL monétaristes sont les foires aux échanges, encore que les autres SEL ne rechignent pas forcément au procédé. Il ne s'agit alors plus d'échanges de services à proprement parler, mais d'échanges de biens d'une manière non commerciale (une sorte de troc collectif). Dans une grange ou une salle des fêtes, on dresse des stands, où Jean propose des portions de gâteaux, Jacqueline des crêpes, Paul des barquettes de crème, Fabienne un bric-à-brac qui sort de son grenier, Dudule son vieux tourne-disque, etc. Dans une foire de ce type, il est vrai que la monnaie facilite grandement ce qui ressemble, il faut bien le dire, à de l'achat-vente, d'autant que tous les biens ne sont pas à égalité (le bric-à-brac du grenier n'a rien coûté à Fabienne, alors que Paul propose la crème venant de son exploitation agricole, et que Jean a acheté dans le commerce les ingrédients de ses gâteaux). L'existence d'une comptabilité transparente limite le risque qu'un adhérent peu scrupuleux s'empare de tous ces objets pour les gaspiller, les revendre, etc.

Les abolitionnistes ou échangistes non-monétaristes souhaitent, au contraire, qu'il n'existe ni monnaie parallèle, ni comptabilité centrale. 1) Parce que des particuliers n'ont pas vraiment le droit de frapper monnaie, s'agirait-il d'une monnaie de singe. 2) Parce qu'une monnaie, même dans un contexte très différent du système bancaire et monétaire officiel, réintroduit des considérations malsaines de profit, d'accumulation, de richesse, de pauvreté : quelqu'un qui reçoit beaucoup de services et reste longtemps sans en rendre (fût-ce pour des raisons légitimes : maladie, accident... ) peut devenir, à être jugé trop vite, le paria du SEL, le débiteur de tout le monde, le profiteur des autres, le "glandeur" de l'association... 3) Parce que la monnaie induit souvent une ambiance formaliste et soupçonneuse qui entrave l'échange au lieu de le favoriser : on a connu, dans certains SEL, des atmosphères très "coincées" où tout un chacun calculait au plus juste le prix du moindre service rendu et offert, chacun s'effrayant d'être "volé" ou même de voler son prochain (pour les plus altruistes) ! Les abolitionnistes fonctionnent donc autrement. Ils s'appellent les uns les autres lorsqu'il y a tel ou tel besoin ponctuel (ce qui se fait dans tous les SEL, du reste), et, d'une manière plus générale, ils s'arrangent pour organiser des journées de travail collectif : ce dimanche, on repeint la grange de Bonemine ; samedi prochain, on va faire du débroussaillage chez Hippolyte. Chacun travaille à son rythme ; il y a, certes, des plus costauds et des plus efficaces, mais personne ne va espionner ce genre de détail, personne n'étant jamais totalement inutile ; Théodule part deux heures après pour une obligation quelconque, mais Théophile, qui n'a rien à faire de toute la journée, reste jusqu'à l'heure du goûter gracieusement offert par la famille dont on débroussaille le jardin ou repeint la grange ; au final, tout s'organise afin de joindre l'utile à l'agréable, sans qu'intervienne la moindre formalisation comptable ou administrative.

Une troisième tendance se dessine actuellement, à mi-chemin entre le monétarisme et  l'échangisme informel. Pour les échanges ponctuels, de gré à gré entre deux personnes, on conserverait la monnaie dans certain cas ; on l'abolirait dans d'autres, notamment en ce qui concerne de tout petits échanges à peine évaluables ; ce système amusant fait dire aux petits plaisantins qu'il y a même du travail au noir dans le SEL, déjà accusé par les autorités de produire du travail au noir déguisé ; on obtiendrait donc du noir dans le noir ! Pour les foires aux échanges, l'utilisation de la monnaie serait obligatoire. Pour les journées de travail collectif, elle serait interdite. Dudule, par exemple, "paye" de 150 pots une séance d'initiation à l'informatique effectuée par Théophile, l'informaticien du groupe. Mais Dudule ne "paye" pas deux autres heures d'informatique effectuées, cette fois, par Fabienne qui s'y connaît aussi : Fabienne demande simplement à Dudule de la retenir à dîner avec sa grand-mère, de passage dans la région, - ou bien Fabienne récoltera un cageot de légumes venant du jardin de Dudule, - ou encore Fabienne s'en fiche, car elle connaît bien Dudule et elle sait que celui-ci rendra des services un autre jour, à elle ou à quiconque. Mais Dudule va aussi "vendre" (échanger) des gâteaux produits par ses soins à la foire aux échanges. Dudule, de même, participera à la grande journée de débroussaillage chez tel ou tel adhérent. On a donc, au total, quatre types d'échanges, deux du genre monétariste, deux du genre non-monétariste. A noter enfin que tout peut se combiner et que la complexité des échanges autorise toute une alchimie entre des parties d'échanges monétarisées et des parties non monétarisées. Sans compter que la monnaie officielle et l'économie habituelle interviennent aussi : il faut acheter dans le commerce les ingrédients des gâteaux proposés à la foire aux échanges, et Dudule peut envisager de rembourser l'essence dépensée par Fabienne dans le trajet qui la mène à lui (surtout si c'est loin).
 

C'est là qu'intervient ma proposition d'une nouvelle monnaie, la plus souple et la plus efficace possible, afin qu'à l'intérieur même du monétarisme soit introduite l'exigence légitime de simplicité et de spontanéité exigée par les abolitionnistes. Rassemblons les paramètres.
1) Cette monnaie doit être temporelle, rédigée en heure et en minute. Ce système est plus parlant, moins abstrait, que celui des pots, grains et autres brouettées, souvent calqués sur la monnaie officielle (par exemple, 1 pot = 1 franc). Elle abolit les distinctions malsaines entre certaines tâches manuelles, souvent peu payées et peu considérées, et certaines tâches intellectuelles, chères et survalorisées. 1 heure 30 minutes d'informatique = 1 heure 30 minutes de ménage = 1h30mn en monnaie temporelle. On notera, du reste, qu'il s'agit là de la seule monnaie mondiale ou  universelle possible.
2) Cette monnaie doit passer par un support d'une simplicité extrême. Les carnets d'échanges de certains SEL monétaristes sont trop peu commodes : il s'agit de carnets de la taille d'un carnet de chèque, réunissant des formules en trois coupons, l'un à conserver par le bénéficiaire du service, l'autre par l'offreur du service, le dernier à envoyer au coordinateur des échanges chargé de la comptabilité centrale. D'autres SEL ont expérimenté des formules un peu différentes ("feuille de richesses partagées", cahiers personnels de tenue des comptes, etc. ), mais presqu'aussi contraignantes. Le problème tient au nombre de précisions qu'il faut inclure en remplissant de telles formules : date du service, nature du service, coordonnées du bénéficiaire, coordonnées de l'offreur, montant en chiffre et en lettre du service : en trois exemplaires, c'est du marathon sportif, sans compter qu'on peut oublier son carnet d'échanges ! Il faut donc proposer autre chose : Un bout de papier + un nombre temporel XX h  XX mn + le nom du bénéficiaire du service avec signature. Et c'est tout.

Cela requiert bien des précisions. Théophile reçoit chez lui Théodore qui passe la journée à poser du papier peint : huit heures de travail. Théophile s'empare, à la fin de cette journée, d'une bout de papier, blanc au moins d'un côté, par exemple le quart d'une vieille photocopie de format A4. Il marque, en chiffre, 08h00mn, écrit son nom (Théophile Duviau), et signe. Théodore empoche le billet signé de Théophile, et repart chez lui content. Eh, bien ! on a tout à gager que ce système est parfaitement INFALSIFIABLE, et ce, malgré et à cause de son extrême simplicité.
1) Un billet comportant une seule rature n'est plus valable. C'est la règle générale.
2) On ne peut falsifier le nombre. La formule XXh XXmn est réglementaire et obligatoire. Une écriture telle que "8h" peut être falsifiée en "18h 30mn" ; Théodore pourrait imiter l'écriture de Théophile et rajouter un "1" et un "30mn". Mais comment peut on falsifier sans rature la formule 08h 00mn ? D'autant que les formules à trois chiffres ("308 h") ne sont pas admises.
3) On ne peut falsifier le nom. Il est déjà difficile, en soi, d'imiter l'écriture et la signature de quelqu'un. Théodore, à moins d'être très habile, ne saurait fabriquer de faux billets mentionnant les noms et signatures d'adhérents auxquels il n'a pas rendu service. Admettons cependant que Théodore soit très habile. Il se fabrique, par exemple, un billet signé par Fabienne pour deux heures de travail (02h 00mn). Or, il faut déjà que Théodore soit un salaud, cas assez rare dans les structures du type des SEL, qui participent globalement d'une culture de la solidarité. Il faut ensuite qu'il ait une grande expérience de l'écriture de Fabienne, condition pas toujours réalisable. Son stratagème, enfin, serait de toute manière immédiatement remarqué en assemblée générale. Il reste alors à préciser le rôle de cette assemblée générale.
4) L'assemblée générale du SEL contrôle la non-falsification des billets de reconnaissance de services rendus. A chaque assemblée générale (par exemple : tous les six mois), chaque adhérent égrène les services qu'il a rendus. Théodore y compris. Deux heures à Dudule, huit heures à Théophile, trois heures à André, trente minutes à Xavier, six heures à Gaëtanne, deux heures à Fabienne. Fabienne se lève alors et s'écrie qu'elle ne comprend pas, que dans les derniers six mois Théodore ne lui a rendu aucun service (ou bien : qu'il ne lui a rendu qu'un service de trente minutes). Au pire, une expertise graphologique trancherait le litige. Il pourrait d'ailleurs se produire le litige inverse : Fabienne, ayant réellement bénéficié de services, se mettrait à contester un billet qu'elle aurait réellement signé. Là encore, au pire, une expertise graphologique... Mais une telle extrémité ne pourrait pratiquement pas se produire. Dans une structure comme le SEL, les "arnaqueurs" éventuels se repèrent avant même qu'ils aient eu l'occasion de sévir. En outre, même en cas d'escroquerie, qui est lésé ? Fabienne ne devient pas débitrice puisque, 1) dans un SEL, personne n'est nommément débiteur de personne, on est tout au plus débiteur vis-à-vis de la communauté entière, 2) dans le présent système, en outre, les "soldes" sont ou bien positifs ou bien nuls, et le concept même du "débiteur" est aboli ; chacun vient avec sa pile de morceaux de papier (il y a autant de "reconnaissances de service" que de service rendus) ou sans aucun billet, pour ceux qui n'ont rendu aucun service. Si Fabienne a rendu des services, l'escroquerie de Théodore ne retranchera pas un iota au nombre d'heures de service qu'elle a rendu de son côté. C'est, tout au plus, les statistiques globales du SEL qui seront faussées : le volume global des échanges - plus exactement des heures de services rendus - sera surévalué à cause des abus de Théodore (mais cela, notons le, ne nuit en rien à l'image de marque du SEL, bien au contraire).

Un tel système gagnerait à être valorisé. Il a le mérite d'abolir toute idée de dette, de découvert, de débit. Tout au plus peut-on être comptablement "nul", vis-à-vis d'un SEL, ce qui reste moins infamant que d'être "négatif". En outre, dans les SEL classiques, un solde négatif ou nul peut cacher une grande capacité à rendre service, ce qui n'est pas le cas ici, où la capacité à rendre service se remarque d'une manière très claire en volume d'heures et de minutes. Enfin, ce système n'est même pas un "fliquage" dirigé contre d'éventuels "glandeurs" : pour éviter de jeter l'infamie sur quiconque, il faut favoriser les journées de travail collectif (par essence, non monétarisées) de telle sorte que même un adhérent au solde nul puisse dire qu'il a bien travaillé et aidé les autres. Enfin, cet adhérent, même paresseux, peut encore se constituer en petit solde positif en "vendant" des choses dans les foires aux échanges (par essence, monétarisées). Bref : dans un tel système, le négatif n'existe pas, le nul n'est pas vraiment un nul, il y a tout au plus des degrés de vertus, et jamais de vice !

Les pessimistes demanderont : et si un adhérent en cambriole un autre pour lui faucher tous ses billets de reconnaissance de services ? Car le nom de l'offreur du service (c'est-à-dire celui a rendu le service et qui possède alors physiquement le billet correspondant) n'est pas mentionné sur ledit billet, écrit et signé seulement par le bénéficiaire du service. André pourrait ainsi dérober à Dudule une pile de billets équivalent à 130 heures de services. André se retrouverait alors très vertueux en apparence, et Dudule passerait pour nul, n'ayant plus aucun billet à produire en assemblée générale devant le statisticien du SEL. Mais un tel crime serait forcément porté à la connaissance des autres par Dudule. Admettons alors qu'André ait menacé Dudule pour l'empêcher de parler. Comment André pourrait-il démontrer alors qu'il a rendu service à tous ces gens qui ne l'ont jamais vu bouger le petit doigt ? Admettons qu'André ait menacé tout le groupe et même le statisticien du SEL, pour que son compte soit abusivement déclaré créditeur d'heures de services effectuées en réalité par Dudule. Qu'est-ce que cela changerait au fond des choses ? André passerait pour ce qu'il est : un salaud, et cela n'empêcherait aucunement les autres de continuer à échanger des services entre eux, y compris Dudule dont le solde, rendu nul par le vol des billets, n'aurait aucune importance aux yeux de ses camarades. Inutile de dire qu'il s'agit-là d'une pure fiction : André serait de toute manière déjà enfermé pour violation de domicile par effraction, pour insultes, pour menaces, etc., toutes choses qui regardent moins le SEL que les institutions répressives de l'Etat.

D'autres pessimistes rétorqueront qu'un adhérent peut bien en forcer un autre (par exemple, sous la menace d'une arme) à lui signer une reconnaissance de service, se constituant ainsi un vrai-faux billet. Mais ce cas, surréaliste, se réduit à peu près au précédent, et s'efface devant les mêmes arguments.

Et si, en assemblée générale, certains oublient leurs billets ? Et si certains sont absents ? Voilà ce que demanderont encore les pessimistes... Mais on peut envoyer les billets par la poste au président ou au statisticien du SEL avant l'assemblée. Ou encore, si aucune donnée n'est disponible, le statisticien se contente de mentionner un point d'interrogation en face du nom de l'adhérent déficient. Le tableau statistique doit être complet dans la mesure du possible, comme tout un chacun doit assister aux assemblées générales : question d'éthique. Mais des absences ou des oublis rares et ponctuels n'entraveront pas fondamentalement la bonne marche des choses.

Certains esprits chagrins trouveront encore ce système insuffisamment formaliste. Il est des gens qui ne sont rassurés que par des imprimés. Certains déploreront notamment que le nom de l'offreur ne soit pas mentionné sur les billets qu'il détient, oubliant que cela répond précisément à l'exigence d'une simplicité de rédaction maximale, et qu'il s'agit, de fait, de billets "au porteur". Il est vrai, cependant, que la mention du nom de l'offreur évite que celui-ci ne mélange ses billets avec ceux du voisin lors d'une assemblée générale un peu désordonnée ou un peu trop arrosée... Cela dit, si les esprits tatillons veulent faire évoluer le billet rédigé à la main sur un bout de papier vers des formules d'un style plus élégant, on propose alors ci-dessous un type de formulaire aisément intégrable en carnet. Une bonne photocopieuse et tout s'arrangera pour les formalistes ! A noter que de tels carnets peuvent être utilisés indifféremment par l'offreur et le bénéficiaire, si l'un deux a oublié son carnet, puisque les formules sont strictement identiques et que les carnets ne comportent pas de talons. L'idée même d'un talon réintroduirait l'idée qu'on puisse être débiteur, ce qui est contraire à l'esprit même de ce système : de tels carnets ne sont pas des carnets de chèque. Dernière souplesse : si tout le monde a oublié son carnet, on peut encore utiliser des bouts de papier.
 
 

SEL des Granges ; 28 rue des Bâtiments ; 99999 Granges-sur-Ferme
(Rature engendre nullité)
Nom
DUDULE
Prénom
Stanislas
Signature
xxxxxxxxx
J'ai bénéficié d'un service de :
1 0 heures
2 5 minutes
Rendu par :

Théodore DUFLANC [mention  non obligatoire]

Un tel système est fascinant. Il s'agit en fait d'une mini-constitution politique et sociale qui rend le crime ou hautement improbable ou radicalement impossible ou encore inutile, inopérant et inefficace. Les deux figures tant redoutées du "glandeur" et de "l'arnaqueur", figures qui effrayent et séduisent  particuliers et institutions dans le contexte de l'économie classique et officielle, deviennent ici, dans l'économie solidaire et alternative des SEL, des figures abstraites, d'un grotesque dérisoire, et ne représentant plus aucun danger. Le vieil Emmanuel Kant écrivait qu'avec une Constitution suffisamment solide on pouvait rendre pacifique même un peuple de démons, et à plus forte raison un peuple d'hommes. Les systèmes d'échanges locaux, à leur manière, fournissent une illustration vivante et significative à cette hypothèse vénérable.
 



P. S.

Certains trouveront peut-être étrange que des objets matériels soit échangés en "heures" et en "minutes". Par exemple, dans une foire aux échanges, on peut libeller un prix comme suit : "Un gâteau = 10 minutes". C'est que faire des gâteaux prend du temps. En outre, le prix des ingrédients achetés dans le commerce peut se traduire en une quote-part du prix moyen de l'heure de main d'oeuvre. Si ce prix est, par exemple, égal à 57 francs, et que j'ai acheté pour 57 francs de farine, oeufs, etc., je devrais donc incorporer une heure (01h 00 mn) à la valeur temporelle de mes gâteaux, en plus du temps passé à les faire. Le système des  SEL ne tourne donc pas complètement le dos à la monnaie réelle. Comme on le voit, il y a une espèce de change tacite entre la monnaie réelle officielle et la monnaie temporelle (appelée aussi "virtuelle"). Pour éviter l'incongruité, certains SEL pourraient d'ailleurs s'exprimer un peu différemment. Au lieu d'écrire 1 gâteau = 10 mn, ils peuvent écrire par exemple 1 gâteau = 0010 "pots" ou 0010 "grains" ou 0010 tout ce qu'on voudra. Cette formule à quatre chiffres obligatoires "XXXX unités de compte" évite autant la falsification des billets manuscrits que la formule "XX h XX mn". On peut adopter indiféremment l'une ou l'autre.
 




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